Dire que la gestion de la compagnie Ford, au début des années quarante, était bordélique est un euphémisme. Son système de gestion était tellement chaotique, que la FoMoCo perdait des millions de dollars par année, au cours de cette période. Le grand nombre de contrats octroyé par le Ministère de la Défense des États-Unis pour fabriquer une multitude d’armes permettait à la compagnie de survivre sans trop de problème, mais de justesse. Au ministère de la Défense, après la mort prématurée de Edsel Ford le 26 mai 1943, à 49 ans, on était tellement inquiet de l’avenir de la compagnie que le Gouvernement démobilisa son fils Henry Ford II de la Marine, en aout 1943, pour que ce dernier retourne à Détroit, avec mission de limiter les dégâts, afin que Ford puisse continuer de fabriquer de l’armement pour garnir l’arsenal de l’armée, de la marine et de l’armée de l’air.
Pendant la guerre, l’un des faits d’armes de la FoMoCo, si j’ose puis dire, a été de fabriquer le bombardier B-24 Liberator. La commande initiale était de fabriquer un B-24 par jour, dans l’immense usine de Willow Run, qui était longue de 1,6 km. Après un rodage difficile, la production s’accéléra tellement que bientôt, un bombardier sortait de l’usine à chacune des heures du jour, soit plus de 650 par mois, en 1944. À la fin de la guerre, 18 400 B-24 avaient franchi le seuil de la porte de l’usine de Willow Run. Le B-24 a été le bombardier le plus fabriqué au monde. Mais, je fais digression. Les problèmes de la Ford Motor n’étaient toujours pas réglés, à la fin de la guerre. Après le décès de Edsel Ford, en 1943, son père Henry Ford, le fondateur, reprenait le poste de président de la compagnie éponyme. Or, Henry Ford était âgé de quatre-vingt-quatre ans et avait été victime de deux attaques d’apoplexie. Il n’avait donc pas nécessairement la force physique et les capacités mentales pour mener à bien la restructuration de sa compagnie et prendre conseil auprès de gens qualifiés. Surtout lui, qui même quand il était en pleine possession de ses moyens, n’était pas du genre à écouter les conseils de qui que ce soit, sauf ceux de l’infâme Harry Bennett. Pour rendre les choses encore plus difficiles, il avait une tocade, soit de défaire ce qu’Edsel avait bâti, contre vents et marée, c’est-à-dire contre lui même. Il avait un désir insatiable de fermer les usines de Lincoln et de Mercury, pour revenir aux jours heureux de son bon vieux Modèle T. Il refusait obstinément de céder sa place à son petit fils Henry II. Bientôt, il rencontra sur sa route les femmes de la famille, son épouse Clara et sa belle-fille Eleanor, veuve de Edsel. Ces dernières le menacèrent de vendre les actions de la compagnie Ford qu’elles détenaient. Comme il ne faut jamais défier une maman qui défend sa progéniture, il abdiqua rapidement et Henry II fut nommé au poste de président de la FoMoCo, en septembre 1945. La première décision que prit Henry II fut de mettre Harry Bennett à la porte. La seconde fut d’embaucher Ernest Breech, gestionnaire chez Bendix Aviation, une Division de General Motors. Quelque temps plus tard, un groupe d’officiers démobilisés de la section de la logistique de l’armée américaine, dont entre autres, Robert McNamara, se joignirent à la Ford Motor. Rapidement, les choses évoluèrent pour le mieux. Les structures de la compagnie furent changées de fond en comble. Les premiers résultats tangibles des produits de la nouvelle Ford Motor furent l’arrivée sur le marché de la nouvelle Ford 1949. Les seuls points qui pouvaient la relier aux produits Ford antérieurs étaient son empattement de 114 pouces, son moteur V-8 et le six cylindres de 226 p. c. de cylindrée, offert seulement aux États-Unis. Ce moteur n’était pas offert au Canada.
Les autres composantes de la voiture étaient entièrement nouvelles. Sa suspension avant était indépendante, avec des ressorts à boudin, celle de l’arrière était à lames, mais fixée longitudinalement. Le tube de poussée avait été remplacé par un arbre de transmission de type Hotchkiss. La suspension à ressorts transversaux était passée à l’Histoire. La carrosserie dessinée par les styliciens de George Walker était, avec ses flancs plats, beaucoup plus moderne que celles de ses concurrentes. Elle reposait sur un châssis complètement nouveau. Jamais, dans l’histoire de la marque Ford, depuis le lancement de la Ford A, qui remplaçait la Ford T, en 1928, un véhicule de marque Ford n’avait été si profondément transformé. Sa conception avait couté 72 millions de dollars. Dès son lancement, en juin 1948, 28,2 millions de visiteurs se bousculaient aux portes des concessionnaires Ford, passant 100 000 commandes, les premiers jours. À la fin de l’année, Ford avait vendu 1 118 740 automobiles 1949. Quand l’année 1950 arriva, des changements cosmétiques mineurs avaient été apportés, surtout sur la calandre et à l’intérieur. Cependant, les usines étant mieux rodées, des changements et améliorations furent aussi apportés, afin de corriger des défauts mineurs de conception. Le contrôle de la qualité fut également resserré. Les Ford 1950 étaient donc de meilleure qualité. Les ventes continuèrent de progresser, avec un total de 1 209 549. De plus en plus, l’écart entre les ventes de Ford et de Chevrolet s’amenuisait. Toutefois, Chevrolet avait deux avantages marqués sur Ford. Le premier était une transmission automatique. Chevrolet avait la Powerglide. Une boite de vitesse plutôt primitive, sans train planétaire qui obtenait sa poussée provenant seulement que du convertisseur de couple. Elle avait la réputation de transmettre mollement la puissance du moteur aux roues arrière. Mais, au moins, Chevrolet offrait une transmission automatique à celui qui en voulait une. Ford avait tenté d’acheter les droits de fabrication de l’excellente transmission mise au point par Studebaker et Warner Gear, mais Studebaker refusa. Chose qu’elle regretta plus tard.
Par contre, Ford offrait le sumultiplicateur Borg-Warner, qui ne sera offert chez Plymouth qu’en 1952 et chez Chevrolet qu’en 1955. En 1951, arrivait enfin la Fordomatic, qui elle, avait son convertisseur de couple appareillé à un train planétaire à trois rapports. L’autre avantage qu’avait Chevrolet sur Ford était ses toits rigides. Ce concept avait été mis de l’avant chez Chrysler, en 1946, mais après en avoir construit sept exemplaires, on ne lui donna jamais suite. GM reprenait la balle au bond, en 1949, sur ses modèles haut de gamme, pour l’étendre à toutes les divisions, en 1950. Chez Chevrolet, on donna le nom Bel Air au modèle à toit rigide. Chez Ford, on tenta de sauver la face en offrant une version plus décorée de la Ford Tudor 1950, à laquelle on donna le nom de Crestliner. Malgré son habile maquillage, la Crestliner ne pouvait pas faire oublier qu’elle n’était qu’une Tudor.
Heureusement, Ford avait une arme secrète. Cette arme portait le nom de Gordon Buehrig. Ce dernier était le stylicien qui avait dessiné les prestigieuses Duesenberg J et plus tard, les Cord 810 et 812. Il avait été embauché, chez Ford, en 1949, en tant que responsable du studio où étaient dessinées les carrosseries des décapotables, des familiales et les autres carrosseries hors norme. Il était donc normal que Buehrig soit responsable du dessin de la première carrosserie coupée, à toit rigide. Afin d’économiser temps et argent, la logique était d’utiliser le plus possible de pièces et d’outillages utilisés pour fabriquer la décapotable. La conception de cette nouvelle voiture, bien que mise sur la voie rapide, ne fut pas terminée à temps, pour être présentée lors du lancement des modèles 1951. On lui donna le nom de Custom Victoria, recyclant un nom utilisé au cours des années trente. Malgré une présentation tardive, la Ford Victoria connut une popularité instantanée, se vendant en 110 286 exemplaires. Ce chiffre de vente était supérieur de 7 000 à celui de Chevrolet. Malgré l’apport de la Victoria, les ventes de Ford, en 1951, avaient quand même diminué, pour se situer à seulement 1 013 381. Notre vedette fait partie de ce nombre. Elle a commencé sa vie active quand M. Jude Fortin s’en porta acquéreur au garage Ford de Saint-Lambert-de-Lauzon. Son actuel propriétaire, M. Michel Brunet en est le troisième propriétaire, depuis son achat, en aout 2009. Il l’utilise pour se rendre aux activités du club VACM.